4. EEE
Étang de Berre
Laboratoire Plastique Pamparigouste
Bureau des Guides GR2013
Avec le GIPREB, l’Institut écocitoyen pour la connaissance des pollutions, l’INRAE Montpellier et le laboratoire Chrome de l’Université de Nîmes
Le plastique et les espèces exotiques envahissantes incarnent une forme d'intrusion dans les écosystèmes naturels, le plastique, omniprésent dans les océans et sur les côtes, est devenu une composante incontournable des environnements marins et terrestres. Il pénètre les cycles de vie des espèces et, en se fragmentant en microplastiques, s’intègre au réseau trophique. Augmentant de manière exponentielle dans les 5 dernières décennies, il matérialise l’impact anthropique et envahit l’espace physique, tout comme les espèces exotiques envahissent les écosystèmes biologiques.
Ces deux formes de pollution chimiques ou biologiques suivent souvent des chemins tracés par les activités humaines, à l'instar du plastique qui se propage via les rivières, les courants océaniques et les décharges. Ainsi, c’est le délestage des eaux de ballast des bateaux qui est la cause de l’arrivée de la Rapana venosa (originaire du Japon) dans l’étang de Berre.
Face à Face à ces défis, notre rapport à ces intrusions est souvent empreint de rejet et d'une volonté de contrôle. Nous essayons de contenir, d’éliminer ou de réparer ce que nous percevons comme une altération de l’état de référence des écosystèmes. Mais la réalité est plus nuancée : l'impact des espèces invasives et du plastique témoigne de la coévolution complexe entre l'humain et le vivant, une cohabitation imparfaite mais inévitable.
L'enjeu n’est donc pas simplement d’éradiquer ces présences, mais de chercher à tisser de nouveaux liens entre humain et non-humain, qui intègrent la dimension évolutive du vivant et l’irréversibilité de notre impact anthropique. Le constat de ces pollutions bio-chimiques peut, contre toute attente, ouvrir des perspectives nouvelles et créatives pour répondre aux défis de l'environnement en constante mutation. Le changement climatique nous pousse à réfléchir davantage à notre implication dans ces processus et il s’agit de cherche de nouveaux outils méthodologiques d’attention qui permettent de reconsidérer la place de l’humain dans la dispersion et la coévolution du vivant.
En liant la visibilisation du plastique à une espèce exotique envahissante plutôt qu’à une espèce patrimoniale (tortue, phoque), cette approche propose de résoudre la tension entre une nature sacralisée, souvent détachée de la réalité tangible du monde, et la dynamique biophysique dans laquelle nous évoluons. Elle réinscrit l'humain dans un processus de renouvellement et d'invention face aux contraintes toujours changeantes de l'environnement, en redonnant à la nature sa place active dans notre devenir partagé.
Je propose une expérience paysagère qui se transforme en une véritable expérimentation active, visant à faire parler la nature par des interventions directes sur celle-ci. Cette démarche inclut la collecte des savoir-faire locaux et la réactivation de recettes ancestrales issues des traditions méditerranéennes. Le paysage devient une ressource, une matière vivante à manipuler et à révéler.En découvrant et réaprenant comment extraire la pourpre de l’espèce exotique envahissante qu’est la Rapana venosa, l'expérimentation devient une rencontre entre tradition et innovation. Ce processus implique un rapport d’usage avec ce gastéropode, où j’apprends à le pêcher, notamment en dialoguant avec les pêcheurs de palourdes et en explorant les relations socioécologiques qui en découlent.
Dans le cadre de mon projet, chaque élément de notre environnement devient une "invite", incitant à une interaction qui varie selon les capacités et les besoins de l’observateur. Cette idée, développée par James J. Gibson, souligne le concept des affordances : « The affordances of the environment are what it offers the animal, what it provides or furnishes, either for good or ill » – les affordances de l'environnement représentent ce qu'il offre à l'animal, qu'il s'agisse d'opportunités bénéfiques ou nuisibles.
Dans cette exploration, j'intègre également la réactivation d'une recette ancestrale de la région méditerranéenne, ce qui enrichit notre compréhension des interactions possibles avec notre milieu. La pourpre de Tyr, souvent appelée pourpre impériale ou royale, constitue une teinture d'un rouge violacé profond, dont l'histoire est intimement liée aux Phéniciens. Mentionnée par Pline l'Ancien comme l'une des teintures les plus estimées de l’Asie, elle était à la fois coûteuse et durable, symbole de luxe réservé à l'élite antique, notamment au sein de l'Empire romain. En réintégrant cette tradition dans notre projet, nous transformons non seulement le paysage, mais aussi notre rapport à celui-ci, en révélant les affordances qu'il offre et en tissant un lien entre passé et présent. Il s’agit moins de restaurer un prestige perdu que de proposer une relecture située (Haraway, 1988) des relations entre humain et non-humain à travers les dynamiques croisées de la biologie, de l’histoire et de la technique. En réactivant cette pratique dans un cadre expérimental et local, le projet interroge la manière dont les matériaux issus des dérèglements écologiques peuvent être mobilisés pour produire de nouveaux récits sensibles. Il s’inscrit dans une écologie politique de la couleur où l’anthropocène devient aussi un chromocène (Boesken Kanold, 2016) : une époque où la teinte des matériaux naturels témoigne des flux planétaires, des tensions économiques et des héritages culturels imbriqués.
Il est à noter que cette reflexion sur la couleur et le paysage, se déroule dans un lieu marqué par l’influence des coloristes des années 1970, Jean-Philippe Lenclos et France Cler qui ont tous deux marqué de leur emprunte le paysage industriel environnant, en intervenant sur la polychromie des aciéries, des méthaniers et dans le paysage urbanistique de l’étang, à la fois qu’ils ont contribué à l’industrie petrochimique de la peinture par l’élaboration de nuanciers.
Références:
- Tassin, J. (2014) La grande invasion : Qui a peur des espèces invasives ?, Éditions Odile Jacob.
- Boesken Kanold, I. (2016). La couleur comme archive. In Couleur et transmission culturelle. Éditions de l’EHESS
- Haraway, D. (1988). "Situated Knowledges: The Science Question in Feminism and the Privilege of Partial Perspective". Feminist Studies
- Pline l’Ancien. (77 apr. J.-C.). Histoire naturelle, Livre IX
Technique du smear-on sur tissu de lin