2. Dæmonologie
Cove Park, Helensburgh
Scotland
Magnetic 3
Fluxus Art Projects
Ce projet artistique puise dans les imaginaires scientifiques, alchimiques et patriarcaux de l’ère moderne pour interroger les liens entre pouvoir, savoir et domination. Inspiré par les écrits de Carolyn Merchant dans The Death of Nature, il examine les métaphores sexuelles et violentes qui ont façonné la vision mécaniste de la nature, des dissections aux pratiques de laboratoire. Ce projet cherche à réinventer ces métaphores, en créant un espace où les processus organiques et indisciplinés—fermentation, érosion, transformation—reprennent leur autonomie.
Ce projet critique s’enracine dans cette mémoire, explorant les liens entre domination patriarcale, subjugation des femmes et réification de la nature. Merchant décrit comment, à l’aube de la modernité, la quête de vérité scientifique s’est accompagnée de métaphores de domination : la pénétration des secrets de la nature par la dissection, la violation de ses mystères, l’usage d’outils violents comme les forceps, symboles de la maîtrise masculine sur le corps féminin. L’écoféminisme critique cette double oppression, observant que la même logique de contrôle, de fragmentation et d’exploitation s’applique aux corps des femmes, à leurs rôles sociaux et à la nature elle-même. Les métaphores violentes utilisées pour décrire la science expérimentale—forcer, pénétrer, disséquer—reflètent une masculinité conquérante qui voit dans la capacité à « dénaturer » la nature une preuve de supériorité. Ces pratiques s’inscrivent dans un cadre culturel qui fait écho à l’asservissement des femmes à des rôles productifs et reproductifs dans une société patriarcale.
Le titre fait écho au traité du roi Jacques VI d’Écosse sur la sorcellerie et la possession, mais en détourne le sens pour poser une question centrale : comment les corps humains et naturels ont-ils été tour à tour diabolisés, soumis et exploités au nom du progrès scientifique et social ?
Sur la péninsule de Rosneath, base stratégique de sous-marins nucléaires en Atlantique Nord, le projet invite le public à une expérience sensorielle et réflexive où le contrôle laisse place à l’écoute, et où la quête de vérité scientifique devient un dialogue avec le vivant—loin des gestes conquérants qui ont marqué l’histoire. L’Écosse, avec son passé chargé de controverses autour des procès de sorcellerie, offre un terrain fertile pour reconsidérer ces récits et raviver un dialogue entre les vivants et l’humain.
L’œuvre prend la forme d’une installation en céramique accompagnée d’une publication :
Des émulsions photographiques réalisées à partir de substances naturelles (algues, terre, cendres volcaniques locales) sont utilisées pour capturer les paysages écossais. Elles révèlent une esthétique de l’imprévisibilité, où des processus organiques (oxydation, fermentation) façonnent les images, dans une nature co-créative. Des photographies sténopé et analogiques, développées selon des procédés alchimiques avec des solutions d’algues et de plantes endémiques, explorent les transformations imprévisibles de la matière. Réalisées sans appareil ou prises de nuit au flash, ces images s’éloignent de l’artialisation et des représentations traditionnelles du littoral écossais.
Les sculptures, fabriquées à partir de matériaux récoltés à marée basse le long du Loch Long—argile sauvage, pierre ponce, tessons de céramique, métal oxydé—évoquent des artefacts anciens, cruches ou outils agricoles, détournés en objets ambigus, oscillant entre violence et réparation. Les sculptures organiques incluent des formes hybrides : pierres et minéraux locaux, céramiques émaillées avec des cendres végétales et volcaniques, pigments naturels, fusionnant éléments naturels et artificiels.
Les sculptures seront exposées dans des paysages naturels, établissant un dialogue direct avec les écosystèmes organiques, les processus naturels (oxydation, moisissure) continuant d’évoluer au fil du temps.
Daemonologie cherche à révéler comment les métaphores violentes de la science moderne ont façonné notre rapport au monde tout en ouvrant la voie à une réinvention de ces liens. Le paysage écossais, avec ses côtes abruptes et ses connexions mythologiques à des forces féminines telles que la Cailleach, devient un terrain fertile pour ces réflexions. La tension entre la présence militariste de Faslane et la mémoire culturelle de ces paysages renforce les thématiques du projet. Les œuvres ne proposent pas de solution, mais créent un espace de confrontation : elles présentent une nature sensible, chaotique, autonome et nous invitent à reconnaître l’altérité du vivant, plutôt qu’à chercher à le dominer.